L'amant de mon vélo

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Au travail, Caroline sentit bien en me voyant que la situation n’avait pas dû évoluer.

- Alors, ton intrus ?

- Toujours fidèle au poste.

- Il a remis ça ?

- Plus que jamais.

- Il a pédalé ?

- Toute la nuit.

- Et tu n’as rien dit ?

- J’ai tout essayé. Je me suis couché.

- Et alors ?

- Et alors ! Ça ne l’a pas perturbé.

- Il a continué ?

- Comme si de rien n’était.

- Qu’est-ce que tu vas faire ?

- Je n’ai plus d’idée.

- Tu pourrais faire croire que tu es parti en vacances. Il se lassera, et trouvera un autre pigeon.

- Il me verra. Et puis il se demanderait pourquoi je ne lui ai demandé d’aller nourrir Médor.

- Médor ? Qui est-ce ?

- Mais c’est Basile !

- Tu l’appelles Médor maintenant ?

- Il a voulu changer de nom, à cause de Basile, l’autre.

- Oh là là ! Ça ne va vraiment pas, toi. Il faut vite trouver une solution. Dis-lui que ton vélo est cassé !

- Un vélo ultra-moderne et incassable ! Et comment, à coups de massue ?

- Il peut avoir une panne, ça arrive.

- Il attendra qu’il soit réparé.

- Dis qu’on t’a cambriolé, et qu’on te l’a volé.

- A moins que je défonce ma porte, il verra bien que c’est faux. Et puis s’il vient chez moi, il verra le vélo.

- Déménage !

 

Les jours passaient et se ressemblaient. Basile faisait ses petits exercices nocturnes dans mon salon, pendant que je réfléchissais, tétanisé dans mon lit, à une solution. Une seule s’imposait à mon esprit : le meurtre ! Chaque jour, l’insupportable voisin trouvait le moyen de faire preuve d’une inégalable gentillesse, toujours prêt à rendre service, toujours courtois, toujours discret. Chaque nuit, il allongeait le temps de pédalage. Et chaque fois, je constatais, au bord de la crise de nerfs, qu’à moins de passer pour un ignoble individu, je ne pouvais légitimement pas le mettre à la porte.

Je ne dormais plus du tout. Médor non plus, devenu anémique. J’avais perdu cinq kilos. J’étais victime de delirium tremens, et je pédalais dans le vide, sous le bureau, au travail.

- Ma décision est irrévocable ! criai-je un soir avant de quitter le travail.

- A qui parles-tu ? demanda Caroline.

- A moi-même, pourquoi ?

- Tu te disputes ?

- Parfaitement.

- Avec toi-même ?

- Mais oui.

- Et à propos de quoi, si ce n’est pas indiscret ?

- A propos de Basile !

- Tu lui redonnes son premier nom ?

- Mais non, l’autre, le voisin !

- Tu as trouvé une solution ?

- La seule.

- Tu ne vas pas l’assassiner, tout de même ?

- Mais non, voyons !

- Que vas-tu faire ?

- Le faire pédaler.

- Quoi ?

- Finissons-en !

 

 *

 

Je n’avais pas de courrier. Mais Basile, comme toujours, était là, par hasard.

- Bonjour, Félix ! Comment ça va aujourd’hui ?

- Bonjour, Basile ! Ça me fait plaisir de vous voir, ce soir.

- Mais à moi aussi, c’est toujours un plaisir de…

- Oui oui, bon, finissons-en vite.

- Comment ?

- Vous ne me dites rien ?

- Que voulez-vous que je vous dise ?

- Vous n’avez envie de rien ?

- Eh bien ! non, si ce n’est, peut-être…

- Oui ?

- Oh ! vous savez, juste faire mon exercice quotidien…

- Nous y voilà ! J’étais sur le point de m’inquiéter.

- Ça ne vous dérange pas, au moins ?

- Mais pas du tout, au contraire, parce que ça tombe très bien.

- Que voulez-vous dire ?

- Suivez-moi jusqu’à la voiture.

J’ouvris le coffre. Un sourire émerveillé illumina le visage de Basile. Il avait gagné. Sa victoire était totale.

- Mon Dieu ! Vous en avez acheté un deuxième ?

- Oui, bon, inutile de s’éterniser, à présent que vous l’avez, vous pouvez rentrer chez vous, et m’épargner vos simagrées.

- C’est pour moi, Félix ?

- S’il vous plaît, je suis encore fragile.

- Mais il ne fallait pas ! C’est une folie !

- Pitié, Basile ! Prenez-le et allez-vous-en !

- Mais vous ne l’avez tout de même pas payé ? Cela a dû vous coûter une fortune ! Vous l’avez eu en promotion ou en cadeau ?

- Comme ça vous arrange ! Je vous l’offre, vous allez pouvoir en faire toutes les nuits dans votre salon. Si vous voulez, je vous offrirai un chat, comme le mien, et vous l’appellerez Félix !

- C’est vraiment trop pour moi, Félix. Mais tout de même, c’est un peu le vôtre, après tout, on pourrait l’installer à côté du premier, dans votre salon, et ainsi, nous en ferions en même temps, qu’en dites-vous ?

- FIN -

 

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